LE GOUROU DEMASQUE: L. RON HUBBARD

Chapitre 11: Tous les chemins mènent à la faillite

La fortune et la gloire liées à la Dianétique grisèrent ceux à qui j'avais eu le malheur de m'associer... y compris une femme qui s' est prétendue ma femme, soignée par la Dianétique d'une psychose importante mais incapable de retrouver la santé mentale parce qu'elle avait le cerveau atteint de lésions structurelles. Deux de mes premiers associés, John W. Campbell et J.A Winter, devinrent enragés quand je leur ai interdit d'écrire sur la Dianétique, car j' estimais leurs connaissances trop superficielles et leurs propres aberrations trop importantes pour les laisser prendre des libertés avec la science... Les fourrures, les voitures de luxe et la mauvaise influence d'un jeune homme dénué de tout sens de l'honneur avaient tourné à tel point la tête de la femme avec laquelle j' avais été lié qu' en se voyant démasquée elle s'est acoquinée avec les deux autres, également assoiffés d' argent et de pouvoir, pour tenter de faire main basse sur toute l'organisation de la Dianétique. " (L. Ron Hubbard, Dianetics : Axioms, Octobre 1951.) Ancien cuistot dans un snack de Wichita avant de faire fortune dans le pétrole et la promotion immobilière pendant le boom des années d'après-guerre, Don Purcell était un grand maigre, timide et effacé, qui avait cherché dans la Dianétique le remède à sa constipation chronique. Après avoir suivi avec sa femme un entraînement d'auditeur à Elizabeth à l'Automne 1950, il était revenu à Wichita, débordant d'enthousiasme pour la nouvelle "science ". Il ne précisait pas si sa constipation allait mieux mais affirmait que la Dianétique le rendait capable de travailler vingt-deux heures par jour, endurance fort utile pour un promoteur immobilier dans une région agricole, assez endormie jusque là, où l' arrivéedu pétrole et de l'aéronautique entraînaient une expansion économique et démographique sans précédent. En dépit de sa réussite et de sa fortune, Purcell ne tenait pas à acquérir un statut; nourri des des valeurs puritaines du Middle West, il se contentait de sa réputation de travailleur infatigable, d'homme d' affaires intègre et de bon chrétien. Comme tous les premiers convertis, Purcell professait une foi aveugle dans l' efficacité de la Dianétique et le génie de son fondateur. Ayant appris les difficultés de la Fondation d'Elizabeth, il avait aussitôt offert de " donner un coup de main " d'argent et ses conseils de gestionnaire. Il avait aussi financé la création d'une Fondation à Wichita. Rien d'étonnant, par conséquent, à ce qu'un tel homme réponde en bloc à l'appel lancé par Hubbard, d' autant que celui-ci lui avait fait miroiter le projet d'installer le quartier général de la Dianétique à Wichita; si le grand Ron Hubbard disait ça, cela ne pourrait faire que du bien à la ville et Don Purcell n'y trouvait évidemment rien à redire. Lorsqu'Hubbard descendit de l'avion de Purcell, son hôte l'accueillit au pied de la passerelle en compagnie d'un reporter du Wichita Eagle, au bénéfice duquel Hubbard fit une déclaration destinée à flatter les habitants de Wichita : la Dianétique, "pionnière des sciences du mental ", choisissait tout naturellement l'endroit " où l'esprit des pionniers reste le plus vivace "; et puisque la Dianétique " ne peut aller au devant de tous ceux qui ont besoin d'elle, il est normal qu'elle s'établisse au coeur du pays, où tous ceux qui le voudront pourront venir à elle " Il ajouta que la Dianétique guérissait soixante-dix pour cent de toutes les maladies mentales, ce qui permit au journal de publier son travail sous le titre : " Le fondateur de la Dianétique apporte l'espoir aux pensionnaires des asiles ".

Hubbard s'installa avec Alexis et sa nourrice au meilleur hôtel de la ville, où Purcell lui avait retenu une suite à ses propres frais, et les deux hommes entreprirent de discuter de l'installation de la Dianétique à Wichita, projet qui allait bientôt retenir l'attention du FBI. Le 4 mai 1951, en effet, l'agent local du FBI reçut une lettre anonyme demandant d'enquêter à la [Fondation Hubbard] où ils se livrent à un ignoble racket sexuel. Je le sais parce que je suis une de leurs victimes. " Cette écoeurante dénonciation alla grossir le dossier Hubbard au FBI, accompagnée des commentaires de l' agent : " Selon certaines rumeurs, la Fondation de Los Angeles est en faillite et l' exploitation déficitaire de celle du New Jersey amènerait l' organisation à transférer son siège dans le centre des États-Unis. "Hubbard ignorait qu'il était accusé " d'ignoble racket sexuel ", ce qui valait mieux pour lui car sa vie privée lui donnait assez de soucis pour l'empêcher de se consacrer comme il aurait dû aux affaires de la Fondation. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même : tandis que sa première femme continuait de le poursuivre pour le paiement des arriérés de pension alimentaire et que la procédure de divorce avec Sara était en cours, Hubbard proposait à sa maîtresse de devenir la troisième. A peine arrivé à Wichita, il téléphona à Barbara en lui demandant de le rejoindre et confirma par télégramme : JE NE T'OFFRE RIEN DE MOINS HONORABLE QUE LE MARIAGE. SI TU ACCEPTES JE DOIS DOUBLEMENT CLARIFIER MON STATUT ACTUEL JE T'AIME DE TOUT MON COEUR. RON. Barbara constata que sa paranoïa ne s'était pas arrangée quand elle reçut un second télégramme moins de deux heures après : GARDE SECRET ABSOLU SUR NOS PROJETS CAR JE NE SAIS PAS CE QU'ILS TE FERAIENT S'ILS ÉTAIENT AU COURANT. SOIS TRÈS PRUDENTE. JE T'AIME. RON. Barbara ignorait tout de ces mystérieux " ils "; quant à la perspective d' épouser un homme accusé de bigamie, de kidnapping et de tortures sur la personne de sa précédente épouse, elle lui inspirait quelque hésitation compréhensible ! " Peux-tu seulement me rassurer sur le genre d' avenir qui nous attend ? lui écrivit-elle. Dieu sait que je ne voudrais pas.. te voir finir en prison ou devoir passer mon temps en procès ".

Pendant qu'elle réfléchissait à la demande en mariage de Ron, Sara l'accusait de s'être enfui à Cuba afin d'échapper aux assignations. Elle montra la lettre que Hubbard lui avait écrite de La Havane ainsi qu'une lettre du 2 Mai, reçue de sa première femme. Informée du divorce par les journaux, Polly s'était sentie moralement tenue d'apporter son soutien à Sara : " Si je puis vous aider en quoi que ce soit, n'hésitez pas. Il faut que vous repreniez la garde d'Alexis. Ron n'est pas normal. J'avais espéré que vous réussiriez à le corriger. Vos accusations peuvent paraître invraisemblables aux gens normaux, mais j'ai subi les mêmes traîtements : les coups, les menaces de mort, le sadisme, j'ai connu tout cela pendant douze ans. "La presse se fit une joie de rapporter ces nouvelles de couple en justice du "Manitou du Mouvement Mental ", titre peu glorieux du Los Angeles Times. C'est ainsi que Arthur W. Wermuth, greffier en chef de la Cour Suprême du Kansas, apprit avec une surprise bien compréhensible qu'Hubbard était "en fuite à Cuba " alors qu'il venait d'arriver à Wichita.

Célébrité locale pour sa conduite héroïque pendant la guerre, Wermuth n' écouta que son devoir d'auxilliaire de Justice et informa sans tarder Los Angeles que le" fugitif " était en ville. Ravis, les journaux du lendemain annoncèrent que le Manitou du Mouvement Mental avait été" débusqué " par le "légendaire héros de Bataan ". L'avocat de Sara sauta sur cette occasion de présenter des conclusions additionnelles requérant la mise sous séquestre des biens d'Hubbard à Los Angeles, sans oublier d'annoncer que, s'il "se cachait" à Wichita, il s'empresserait sans nul doute de reprendre la fuite en se sachant découvert. Coïncidence ou transmission de pensée ... le même jour, dans le dessein de se venger de Sara, Hubbard envoyait une lettre de sept pages au Ministère de la Justice ! Même pour lui, passé maître pour casser du sucre sur le dos d'innocents, cette dénonciation accumulant les mensonges et calomnies constituait un chef d' oeuvre du genre, d'autant plus dangereux sous le Maccarthysme règnant. Se présentant comme un "scientifique dans le domaine de la physique nucléaire et des phénomènes moléculaires ", il accusait les communistes d'avoir détruit ses florissantes affaires, de lui avoir ruiné la santé et de s'être emparé de documents "intéressant la sûreté de l'État ", disait-il.

L' âme damnée de ces machinations n' était autre qu' une femme connue sous le nom de Sara Elizabeth Northrup que j'ai d'abord crue être mon épouse, mais que par suite d'un malentendu portant sur un précédent divorce, j'ai dû considérer comme ma concubine ". Ayant déjà coulé l'Institut américain de thérapie avancée, créé par lui en 1949, Sara avait réussi l'année suivante à semer la zizanie dans la Fondation Hubbard de Recherche Dianétique, avec la complicité active d' Art Ceppos,"ancien membre du parti communiste " et de Joseph Winter, qui "semble avoir des relations communistes ", par ailleurs révoqué du corps de santé de l'armée américaine pour diverses psychonévroses. Mari persécuté, Hubbard déclarait que sa "prétendue épouse " l'avait forcé à lui léguer par testament ses droits d'auteur et ses parts dans les Fondations. Il affirmait ensuite avoir été victime de sauvages agressions pendant son sommeil; après l'avoir roué de coups sur la tête à plusieurs reprises, ses assaillants lui avaient "planté une aiguille dans le coeur pour y injecter de l' air et provoquer une thrombose coronaire "avant de l'électrocuter avec du courant de 110 volts (sic). Sa santé ne s'était jamais remise de ces attentats, qu'il s'était toutefois abstenu de signaler à la police faute de témoins et par crainte du scandale.

Mais ce n'était pas tout : il avait trouvé des lettres d'amour de sa "prétendue femme " adressées à Mites Hollister, " membre des Jeunesses communistes ", ainsi qu'un télégramme prouvant qu'ils préparaient sa mort. Il décrivait en détail leurs manigances pour le faire interner et ses propres efforts pour ramener Sara sur le droit chemin en l'emmenant à Palm Springs, où elle l' avait suivi de son plein gré comme en attestait la déclaration signée de sa main. En demandant le divorce, précisait-il, Sara voulait uniquement reprendre le contrôle de la Fondation.Ces incessantes persécutions avaient retardé la poursuite de recherches dont il voulait faire bénéficier le gouvernement des États-Unis : " En août 1950, j'ai découvert la manière dont les Russes extorquaient les confessions de leurs ennemis, tels que le cardinal Midszenty et d' autres. Je savais comment contrer ces méthodes. J'étudiais aussi une technique de guerre psychologique que je comptais offrir au Ministère de la Défense. Tout ce travail a été interrompu : chaque fois que je voulais me remettre à écrire, on m'attaquait dérechef. " . Soucieux d'empêcher la Dianétique de tomber aux mains des communistes, Hubbard préconisait "une rafle générale" de"ces ignobles communistes ou ex-communistes " rafle qui devrait comme de juste commencer par Sara : " Cette femme sort d'un milieu criminel. Son père était un repris de justice et sa demi-soeur internée dans un asile de fous. Elle faisait partie à Pasadena d'un groupe de désaxés pratiquant l'amour libre. Elle s'était liée avec Jack Parsons, l'expert en fusées, dont elle a gâché la vie.

Par l'intermédiaire de Parsons, elle entretenait des rapports étroits avec plusieurs savants de Los Alamos Gordos [la base secrète duNouveau-Mexique où la bombe atomique avait été mise au point pendant la guerre]. Je ne me doutais de rien avant de me décider à enquèter sur la question. Elle a probablement un casier judiciaire. V ous pouvez en retrouver la trace dans vos propres archives criminelles ou celles de la police de Pasadena [Suivait un signalement détaillé de Sara]." Je ne cherche pas à me venger, poursuivait-il. Je crois plutôt qu'elle [Sara] est l'objet de fortes pressions parce qu'ils la tiennent d'une manière ou d'une autre. Soumise à un interrogatoire serré, elle devrait parler et fournir des preuves permettant de confondre ses complices. " Sa conclusion?: " Franchement, au vu de tout ce qui m'est arrivé, je ne suis pas certain d'en sortir sain et sauf. S'il m'arrive malheur, il faut que sachiez que je n'ai pas d'autres ennemis au monde ". Si Hubbard n'avait pas tant exagéré et si le FBI n'avait pas déjà sur son compte un dossier plutôt épais, sa lettre aurait entraîné l'arrestation immédiate de Sara.

A l'époque, la " Terreur Rouge " atteignait des sommets; aiguillonnée par le Maccarthysme, la guerre de Corée et les séries de procès d'espionnage à sensation, une psychose de la trahison submergeait l' Amérique. Des réputations ruinées et des carrières brisées à la suite de dénonciations bien moins virulentes que celle d'Hubbard contre sa femme et ses anciens amis. Heureusement pour eux, Hubbard était déjà largement jugé par le FBI. L'opinion de l'agent l'ayant estimé " déséquilibré " après l'avoir interrogé à Newark pesait lourd dans son dossier, de même que les rapports des experts médicaux cités par Sara, qui le considéraient atteint de folie incurable ". Obéissant au diagnostic, le FBI se borna donc à classer sans suite cette nouvelle pièce. Fin Mai et ayant achevé d'y réfléchir, Barbara arriva à Wichita prête à épouser Ron. " Si l'amour brise le coeur des hommes, lui avait-elle écrit, il peut aussi le guérir. Régénéré par mon amour, le tien retrouvera sa force " Confortée dans sa décision par un billet tendre et gai que Ron lui avait laissé à la réception de son hôtel, elle n'en fut que plus choquée par son apparence à le rencontrer ensuite. " Moralement et physiquement, c'était une ruine, aussi crasseux qu'un clochard, les ongles noirs, les cheveux trop longs, genre d'Howard Hughes les derniers temps. Il parlait d'une voix monocorde et semblait au bord des larmes. Il m'a dit avoir emprunté cinquante dollars à Purcell pour payer ma chambre mais qu'il ne fallait le dire à personne, parce que Purcell s'était opposé à ce que je vienne " Hubbard l'emmena chez un bijoutier choisir une bague de fiançailles mais Barbara changea alors d' avis. " Il était tellement bizarre, tellement différent, que je ne le reconnaissais plus... Il me faisait peur. " Le lendemain matin, elle repartait àLos Angeles après lui avoir écrit un mot disant qu'elle ne voulait pas être la cause d'une brouille entre son commanditaire et lui.

Tandis que l'ex-future Mme Hubbard s'éclipsait précipitamment, Sara arrivait dans l'intention de négocier pour reprendre Alexis " Elle ne l' a récupérée qu'en acceptant de prendre les torts sur elle et de ne plus dire de mal d'Hubbard ", se souvient Richard De Mille, arrivé à Wichita entre-temps. Le 9 Juin 1951, Sara signa en effet une déclaration manuscrite par laquelle elle s'engageait à retirer sa plainte pour enlèvement d'enfant et à annuler son instance de divorce devant les tribunaux de Californie, en échange d'un divorce prononcé en faveur de L. Ron Hubbard, que celui-ci lui " garantissait " pour la mi-juin au plus tard. Deux jours plus tard, elle signait une déclaration dactylographiée par laquelle elle reconnaissait ses torts tant envers son mari, "homme brillant et intègre ", ajoutant que " la Science de la Dianétique représentait le seul espoir des générations futures "; elle retirait ses accusations contre Hubbard et implorait son pardon pour le mal qu' elle avouait lui avoir fait. Ce document aux phrases ampoulées, truffées de barbarismes et de néologismes incompréhensibles, était manifestement l'oeuvre du Hubbard en personne !

Quoi qu'il en soit, il obtint le 12 Juin devant le Tribunal du comté de Sedgwick un jugement de divorce aux torts exclusifs de Sara, convaincue de manquements graves à ses devoirs conjugaux et d'extrême cruauté" envers son époux. Sara n'intervint pas devant la Cour pour rétablir la vérité : elle avait obtenu la garde d' Alexis, rien d'autre ne comptait pour elle. Embrassant sa gamine, elle prit le premier car Greyhound et laissa derrière elle Wichita et L. Ron Hubbard, à jamais.

Il n' avait pas fallu longtemps à Don Purcell pour découvrir quel rôle Hubbard attendait de sa part en tant que président de la Fondation dianétique deWichita : celui de cochon de payeur docile et généreux. Car Hubbard, qui cumulait les titres de président d'honneur et de vice-président, dépensait plus vite que n'était versé l'argent de Purcell. Après le départ précipité de Barbara, il avait élu domicile dans une vaste et confortable maison meublée au coeur du quartier le plus élégant de la ville et engagé une " gouvernante " d'une quarantiane d'années, fort belle, qui ne tarda pas à passer la plupart de ses nuits dans le lit du patron. " Ron aimait les femmes, se souvient Richard De Mille. Il ne pouvait pas voir une jolie femme dans son entourage sans en profiter. "A la Fondation, le personnel valsait au gré des lubies d'Hubbard. Il engageait et renvoyait les gens en fonction de ses dernières lubies pour des plans plus grandioses les uns que les autres, que son imagination d'auteur de Science-fiction bombardait de titres ronflants. C'est ainsi que Wichita eut brièvement l'honneur d' abriter le siège de la " Bibliothèque internationale des Arts et des Sciences ", pour la plus grande perplexité des fermiers du coin et des ouvriers des usines aéronautiques. Les stages à 500 dollars par tête continuaient mais les candidats auditeurs ne se pressaient plus en foule et on était loin de la ferveur des étés précédents : fin Juin 51, un congrès du mouvement ne compta que 112 délégués. Pourtant, Hubbard se comportait toujours comme si la Dianétique continuait à s'étendre. Indifférente à la raréfaction de la demande, la Fondation produisait d'innombrable brochures et bulletins traitant de divers aspects de la " Science " La Dianétique pour les enfants, Manuel du preclair, Processus de l'Effort, et autres s'empilaient dans les locaux, malgré les efforts du personnel pour les distribuer de gré ou de force aux visiteurs. Le deuxième livre d'Hubbard, Science de la Survie, édité par la Fondation de Wichita, parut en août. Dédié à "Alexis Valerie Hubbard, dont les lendemains peuvent espérer un Monde digne d'être libre", il abordait la métaphysique et la réincarnation et présentait un procédé, " l' Échelle des Tons " censé mesurer le niveau émotionnel de l'individu et fournir des méthodes d'interprétation de la personnalité.

Hubbard pensait conférer au livre un vernis de sérieux en citant une longue liste de philosophes, d' Aristote à Socrate en passant par Descartes, Voltaire, Freud et les autres, présentés comme ses inspirateurs. En dépit de ces avals brillants, Science de la Survie ne suivit pas La Dianétique sur les listes de bestsellers. Pour les élèves de la Fondation, le cours d'Hubbard tous les vendredis soir était le clou de la semaine. Helen O'Brien, une jeune femme de Philadelphie, décrit ainsi la cérémonie : " Il arrivait par le fond de la salle, qu'il traversait jusqu'à l'estrade sous les applaudissements. La mise en scène était soignée: il parlait devant des draperies dont la couleur et celle des projecteurs étaient étudiées pour mettre en valeur ses cheveux roux et ses expressions. Hubbard était un fabuleux conférencier. A l'époque, il nous présentait sans ambages ses idées les plus sérieuses comme les plus invraisemblables... et prenait un plaisir évident aux réactions des spectateurs. Il avait un tel rythme, un tel style qu'il entraînait l' adhésion unanime, au moins en apparence car, dans tout ce qu'il disait, il y avait beaucoup de choses bien différentes de la "Science de la Santé mentale" qui nous avait rassemblés. "Helen O'Brien fut choisie à la "garde d'honneur " d'Hubbard, ces admirateurs inconditionnels d'une fidélité à toute épreuve, auxquels le privilège de voir Ron suffisait. " Ron me parlait beaucoup de lui-même, poursuit Helen. Il disait que son père était un personnage peu recommandable, une sorte d'escroc qu'il soupçonnait de vouloir l'évincer de la Dianétique, mais qu'il la saborderait lui-même si cela devait se produire. Il m'a aussi parlé de Sara... quand elle s'était enfuie avec un autre homme, il les avait poursuivis : eux l'avaient enfermé dans une chambre d'hôtel pour le droguer de force, mais il avait réussi à leur échapper et à partir pour Cuba... Sans être un débauché, il avait des moeurs sexuelles très libres. Un soir, j'ai couché avec lui... comme si c'était tout à fait naturel ". Parmi les pèlerins qui convergeaient sur Wichita au cours de l'été 51 se trouvait une fille de Houston, 19 ans, venue avec un ami captivé par la Dianétique depuis l'article d'Astounding. Etudiante à l'Université du Texas, elle s'appelait Mary Sue Whipp et voulait faire carrière dans la recherche pétrolière. L'arrivée de Mary Sue avec ses yeux bleus, ses cheveux auburn et sa silhouette élancée, souleva à la Fondation les sentiments contradictoires qu'on imagine, plutôt favorables chez les hommes mais nettement moins indulgents de la part des femmes. " C'était une nullité, en disait aigrement Helen O'Brien. Elle ne lisait que la presse populaire fleur bleue. "Hubbard eût tôt fait de séduire la séduisante preclair et à témoigner un intérêt particulier à ses progrès. Mary Sue fut si flattée d'être l'objet des attentions du grand homme qu'elle s'installa chez lui au bout de quelques semaines -à la fureur de la gouvernante, ainsi ravalée à ses fonctions domestiques. Mary Sue se qualifia avec la rapidité fulgurante qu'on imagine, reçut son Certificat d'Auditeur et intégra le personnel permanent de la Fondation sans plus penser à sa carrière pétrolière. A la Fondation, tout le monde passait son temps à auditer tout le monde, les instructeurs comme les élèves, de sorte qu'il fallait bien que l'un d'eux se dévoue de temps à autre pour auditer Hubbard. Ce périlleux honneur, dévolu au hasard des humeurs du Maître, échut une fois à un assistant : Perry Chapdelaine. "Je m'étais cru obligé de m'en tenir strictement aux techniques enseignées, se souvient Chapdelaine, mais cela ne s'est pas du tout passé comme je m'y attendais.Hubbard s'est étendu sur son lit, il a fermé les yeux et s'est mis à parler. De temps en temps, comme on me l'avait appris, je claquais des doigts pour le faire remonter à des souvenirs plus anciens mais il me lançait un regard furibond, refermait les yeux et reprenait son monologue...

J' ai vite compris ce qu'il voulait dire par "recherche " : c'était lui qui parlait et l'auditeur devait écouter ! Le problème pour la plupart des gens de la Dianétique, c'est qu'ils prenaient tout ce que disait Hubbard comme parole d'Évangile. Je me souviens d'une conférence où il a dit qu'en faisant ceci ou cela, on n'aurait plus jamais besoin de porter des lunettes et il a montré un grand vase au pied de l'estrade où tout le monde est venu jeter ses lunettes, Don Purcell comme les autres... Hubbard était ravi de sa plaisanterie. Il m'en a parlé un peu plus tard pour se moquer de Purcell, qui était sorti de la salle à tâtons, et des gens prêts à faire n'importe quoi du moment que c'était lui qui le disait. Bien entendu, tout ceux qui avaient jeté leurs lunettes en ont refait faire ensuite. Hubbard avait un don extraordinaire pour convaincre. Quand il m'a audité, j'ai eu pour la seule et unique fois de ma vie la nette impression d'être un embryon. C'était ahurissant ". En Août, pour ne pas perdre sa pension d'invalidité,Hubbard dut aller à une visite médicale de l'Administration des Anciens Combattants.

Malgré sa liste habituelle de blessures et de maladies, cette fois encore, les médecins n'eurent pas l'heur de diagnostiquer le moindre symptôme des unes ni des autres : " Sujet robuste et bien nourri, ne présente aucun signe d'invalidité chronique ", conclut le rapport. L'administration n' avait aucune raison de continuer à entretenir un ancien combattant en parfaite santé mais, pour une fois, ledit ancien combattant ne s'en soucia guère, car Don Purcell pourvoyait à ses besoins. Leurs rapports commençaient néanmoins à tourner à l'aigre. Ils étaient convenus que Purcell serait responsablede la gestion et de l' administration de la Fondation tandis qu'Hubbard assumait la formation, les procédures et la recherche. Malheureusement, cette répartition du travail aussi simple que logique se révéla vite impraticable: "Tout marchait bien jusqu'à ce que Ron se mette à piétiner mes plates-bandes, se souvient Purcell. Plus il en faisait, plus je me rebiffais. Il avait mis sur pied une organisation dont les frais de fonctionnement dépassaient de loin le chiffre d'affaires. Je voulais la restructurer pour la ramener à un niveau compatible avec nos rentrées, quitt eà l' accroître à mesure que les rentrées augmenteraient, mais Ron ne voulait rien entendre. Il me répétait que j' avais donné mon accord pour payer les anciennes dettes et financer le redémarrage de la Fondation et que je n' avais qu'à tenir parole! L'avocat de Purcell, qui assistait à leurs discussions, confirme que "les factures atteignaient des proportions astronomiques. La Fondation perdait de l' argent plus vite que Purcell n' était capable de combler les gouffres. "Mais là n'était pas le seul problème: Hubbard et Purcell étaient en désaccord fondamental sur la question des " vies antérieures". Dès les débuts de l' auditing, certains sujets invités à remonter leur " piste de temps " étaient retournés au delà de leur naissance ou de leur conception jusqu'à une existence antérieure, souvent romanesque, chevalier médiéval ou centurion romain. Le même phénomène était arrivé à Helen O'Brien, qui s' était revue au début du XIXe siècle sous les traits d'une jeune paysanne irlandaise tuée par un soldat anglais qui voulait la violer. D'abord assez sceptique sur le concept des vies antérieures, Hubbard en était devenu un adepte enthousiaste au moment de son arrivée à Wichita au point de venir un jour donner son cours en boitant bas. Il expliqua qu'il avait remonté sa "piste de temps génétique " jusqu'au moment de la guerre de Sécession, où il avait reçu une balle dans la jambe, et qu'il n'avait pas eule temps de revenir dans le "présent". De son côté, Purcell espérait toujours que la valeur de la Dianétique serait universellement reconnue; la notion de vie antérieure ne lui disait rien qui vaille sur un plan scientifique et il aurait préféré l'abandonner. Mais Hubbard n'était pas homme à faire crédit à l'esprit terre à terre d'un promoteur immobilier et Purcell s'immisçait indûment dans son domaine réservé, la " recherche"."Ron voulait que la Dianétique se borne à l' autorité de son enseignement, dit Purcell. Quiconque osait suggérer qu'il pourrait y contribuer valablement devait être neutralisé."

Les frictions entre les deux hommes ne pouvaient donc que s' aggraver.

Pendant ce temps, toujours vigilant, le FBI continuait à s'inquiéter des faits et gestes de Hubbard en faisant la preuve d'un manque de coordination courtelinesque. Ainsi, l' antenne du FBI à Kansas City où l'on ne lisait apparemment jamais les journaux demanda à Washington le 1er Octobre 1951 des renseignement sur "une école ou clinique Dyanétique (sic) de Wichita, dirigée par un certain L. Ron Hubbard ". W ashington répondit que, selon des sources bien informées, les activités de la Fondation "attiraient particulièrement les pervers sexuels et les hypocondriaques " et qu'Hubbard était accusé par sa femme d'incapacité mentale ". Le rapport omettait toutefois d'ajouter que Sara s'était rétractée par la suite. En Novembre et Décembre, Hubbard allait de nouveau refaire parler de lui au FBI avec une entreprise sortie tout droit d'un roman de Science-fiction. Il avait décidé de fonder une alliance des principaux savants mondiaux, d' archiver sur microfilms les dernières découvertes scientifiques et de les stocker dans un abri anti-atomique en Arizona afin de soi-disant "retirer aux pays individuels la capacité technique de déclencher une guerre nucléaire ". Se vantant de pouvoir ainsi exercer son contrôle sur les guerres et donc sur le monde entier, il baptisa le projet " Allied Scientists of the World " (raison sociale déjà utilisée dans un de ses romans) et chargea Perry Chapdelaine d'organiser la chose. Chapdelaine fut dépêché en grand secret à Denver, Colorado, futur siège de l' Alliance, avec pour mission d' expédier à plusieurs milliers de scientifiques un courrier les informant qu'ils avaient l'honneur d'être cooptés membres fondateurs de l' Alliance et les invitant à régler une cotisation annuelle de 25 dollars. " Sur des milliers d'envois, se souvient Chapdelaine, nous n'avons reçu qu'une ou deux réponses. " En revanche, le FBI fut aussitôt inondé de demandes des récipiendaires qui voutalent savoir si cet organisme inconnu ne servait pas de couverture à des menées communistes ou subversives. LeFBI ne tarda pas à établir que leur vieille connaissance L. Ron Hubbard avait encore inventé la lune, et les inspecteurs des Postes enquètèrent pour déterminer s'il n'y avait pas quelque fraude postale à la clef. Hubbard battit précipitamment en retraite et l'Allinace mondiale disparut aussitôt. Pour Purcell, ce nouveau fiasco fut l'avant-dernièregoutte d'un vase déjà prêt à déborder. Selon Chapdelaine," Purcell mourait de peur que cela rejaillisse sur lui. Il se demandait en tremblant ce que Hubbard allait encore inventer. "Les deux hommes étaient au bord de la rupture; il incombait aux hommes de loi de la consommer. Depuis l'arrivée de Hubbard à Wichita, Purcell ne cessait de se battre contre les créanciers, qui se manifestaient toujours plus nombreux à mesure que les Fondations fermaient leurs portes les unes après les autres. A un moment, il avait même dû fournir une caution de 11 000 dollars pour éviter la mise en liquidation judiciairede la Fondation de Wichita par l'État du Kansas. L'accalmie ne dura pas. Début de 1952, un tribunal rendit la Fondation de Wichita responsable des dettes considérables contractées par la défunte Fondation d'Elizabeth. Pour Purcell, c' était la catastrophe. Comprenant trop tard que son loyal associé lui avait depuis le début caché la vérité sur l'état de ses finances, il prit la décision de déclarer la Fondation en état de cessation de paiement. Hubbard voulut s'y opposer; mis en minorité par le conseil d' administration en séance extraordinaire, il démissionna en annonçant son intention d'ouvrir en ville un "Collège Hubbard "concurrent. A près des discussions animées, Purcell et lui scellèrent d'une poignée de mains un gentlemen'sagreement aux termes duquel Hubbard poursuivrait sa collaboration. Un engagement pour l'honneur d'Hubbard? on n'y pense pas; Purcell s'étant rangé parmi ses ennemis," il pouvait désormais le combattre et l' annihiler par tous les moyens". L'infortuné millionnaire s'en rendit compte dix jours plus tard en recevant un télégramme par lequel Hubbard l'informait qu'il lui intentait un procès pour "rupture abusive de contrat " et un autre pour " fautes lourdes de gestion ", chacun assorti de 50 000 dollars de dommages et intérêts. Il poussait la sollicitude en concluant : " Désolé de devoir en arriver à une telle extrémité. "L'arrêté des comptes de la Fondation révéla que, dans la période de son activité, les recettes s'étaient élevées à 142 000 dollars pour 205 000 dollars de dépenses, qu'Hubbard avait perçu 22 000 dollars d'honoraires alors que les salaires de l' ensemble du personnel ne se montaient qu'à 54 000 dollars. Quant à l'inventaire de l'actif, il se bornait aux droits sur les enregistrements, livres, brochures et techniques pédagogiques de la Dianétique, y compris le nom alors assimilé à une marque commerciale. Purcell et Hubbard faisant l'un et l'autre valoir leurs droits sur ces maigres reliefs, la querelle tourna à la guerre ouverte. Hubbard monta contre son ancien associé et bienfaiteur une campagne de diffamation systématique, en l'accusant d' avoir conspiré pour s'emparer de la Dianétique et d' avoir reçu un demi-million de dollars de l'American Medical Association pour saboter le mouvement. Honnête et naïf, Purcell était complètement dépassé. Aucun harcèlement,aucune mesquinerie ne lui fut épargné : ainsi, il constata un jour que le fichier d'adresses de la Fondation et les plaques d' Adressograph avaient disparu. Un assistant d'Hubbard admit peu après les avoir déplacées "par inadvertance".Sachant qu'il s' agissait de plaques de métal contenues dans des boîtes pesant quelques dizaines de kilos chacune , une telle " étourderie" laisse rêveur. Les enregistrements des cours s' évanouirent à leur tour., quand Purcell obtint leur restitution par ordonnance de référé, il s' aperçut qu'une bande sur trois ou quatre avait été effacée. En mars 1952, Hubbard observa une courte trêve dans les hostilités pour épouser Mary Sue Whipp, enceinte de deux mois. Afin d'éviter le délai de trois jours imposé par les lois du Kansas, les amoureux se marièrent en Oklahoma. De retour à Wichita, la nouvelle Mme Hubbard participa à la direction du Collège Hubbard, installé dans un immeuble de bureaux moderne près du centre. L' établissement ne fonctionna que six semaines, mais cela suffit à son fondateur pour battre par télégramme le rappel de ses fidèles partisans et les convoquer à une convention extraordinaire, pendant laquelle il promettait de leur dévoiler des choses extraordinaires". Quatre-vingts personnes environ vinrent assister à l' événement, qui eut lieu dans la salle des banquets d'un hôtel de Wichita. Hubbard leur révéla d'abord un ingénieux petit gadget baptisé " E-Meter ", ou "électromètre ", censé mesurer les émotions d'un sujet avec assez de précision pour "donner à l' auditeur un merveilleux aperçu du mental de son preclear . L'appareil ressemblait à une boîte en métal noir avec cadran lumineux, de boutons et de fils reliés à deux boîtes en fer-blanc. Hubbard en fit la démonstration en faisant tenir les boîtes par un volontaire dont il pinça le bras : l' aiguille se déplaça sur le cadran. Il lui demanda ensuite d'imaginer qu'il était pincé et l' aiguille se déplaça de nouveau. Mais la sensation causée par l'électromètre ne fut rienc omparée à la révélation suivante. Hubbard affirma avoir découvert et mis au point une science entièrement nouvelle allant bien au-delà de la dianétique et fondée sur la certitude. Cette science fabuleuse avait déjà un nom : la Scientologie.


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