LE GOUROU DEMASQUE: L. RON HUBBARD

Chapitre 17: A la poursuite des "vies passées"

" NOTRE AGENT RAPPORTE QUE HUBBARD OPERE UNIVERSITÉ FLOTTANTE MORALITÉ DOUTEUSE, NON ACCRÉDITÉE PAR UNIVERSITÉ U.S. ET DONNANT MAUVAISE IMAGE ÉTATS-UNIS A L'ÉTRANGER. ÉTABLISSEMENT FLOTTANT FAIT PROBABLEMENT PARTIE DE SECTE DE CHARLATANS. (Échange de câbles CIA, Juin - Juillet 1968.)

Peu après l'arrivée du Royal Scotman à Valence, un groupe de scientologues débarqua de Saint Hill par avion.

Parmi eux se trouvait une jeune New Yorkaise, Mary Maren :" Pendant que je suivais le cours de Saint Hill, j'ai vu revenir des membres du "projet maritime": squelettiques et épuisés. J'ai appris plus tard qu'ils avaient nettoyé les cales du navire pleines de bouse de vache mais je ne le savais pas encore quand j'ai pris l'avion : je n'étais jamais allée en Espagne et l'aventure m'excitait... On m'a affecté une cabine minuscule mais tout semblait impeccable à bord et l'atmosphère était sympathique... LRH nous réunissait le soir sur le pont et nous parlait de ses aventures passées. Il avait été, entre autres, coureur auto mobile dans la civilisation Marcab, qui existait plusieurs millions d'années auparavant sur une autre planète ressemblant à la Terre des années cinquante, sauf qu'ils savaient voyager dans l'espace... Quand il était pilote decourse, LRH s'appelait Dragon Vert et avait établi des records de vitesse avant de se tuer dans un accident. Il s'était ensuite réincarné sous le nom de Diable Rouge et avait battu les records... Et puis, il s'est rendu compte qu'il ne faisait que battre ses propres records et cela ne l'amusait plus...Hubbard s'adressait à des scientologues confirmés, qui croyaient dur comme fer aux vies antérieures et prenaient très au sérieux ses histoires les plus invraisemblables. Aucun de ceux qui l'écoutaient discourir sur le pont du Royal Scotman par ces chaudes nuits d'Espagne ne doutait un seul instant qu'il ait été coureur automobile marcabien...Sa manie d'enterrer des trésors était un des éléments récurrents de ses vies passées sur Terre, de même que sa frustration de ne pas les retrouver dans sa vie présente. L'espoir lui revenant depuis qu'il disposait de plusieurs bateaux et d'un personnel abondant, il recruta en Février 1968 des volontaires pour une " mission spéciale " à bord de l'Avon River. Sous les regards envieux des exclus penchés à la rambarde du Royal Scotman, le Commodore les soumit à un entraînement intensif au cours des semaines suivantes. Chronomètre en main, il leur faisait exécuter d'innombrables exercices, allant du sauvetage d'un homme tombé à la mer à des alertes au feu et à la manière de repousser un abordage : la Méditerranée, disait-il, grouillait de pirates et ils ne devaient pas paniquer en cas d'attaque...Début Mars, l'Avon River mit le cap sur la Sicile et jeta l'ancre près du cap Carbonara. Là, Hubbard informa ses fidèles de la nature de leur "mission " , dont ils ignoraient encore tout : pour la première fois, il disposait dans une de ses incarnations des ressources en hommes et en matériel lui permettant de réaliser uneambition caressée des siècles durant. Les immenses fortunes amassées au cours de ses vies antérieures étant enterrées en certains lieux tels que celui-ci, ils allaient les localiser et les récupérer, avec ou sans l'accord des autorités locales.Deux mille ans auparavant, lorsqu'il était amiral d'une escadre de galères, il y avait un temple sur la côte devant laquelle ils étaient ancrés, le temple de Tenet dont la grande prêtresse, une femme charmante ajouta-t-il avec un sourire complice, "aimait réchauffer le coeur desmarins".

Scindés en plusieurs groupes, ils descendraient à terre le lendemain matin afin de retrouver les ruines du temple et l' entrée du caveau secret où était enfoui un trésor considérable de vaisselle en or massif. " Nous étions électrisés à l'idée de cette aventure, se souvient Amos Jessup, l'un des premiers à s'être porté volontaire pour embarquer sur l'Avon River. Que ce soit réel ou imaginaire, si Ron y attachait de l'importance j' aurais fait n'importe quoi pour lui.

Les explorateurs eurent d' abord du mal à localiser lesruines, jusqu'à ce que Hubbard s'avisat que ses souvenirs se basaient sur des documents de navigation anciens alors qu'il s' était référé à des cartes modernes pour définir le site. Une fois ce problème résolu, le temple fut retrouvé d'autant plus aisément... qu'il était signalisé par des panneaux sans que nul n'osât suggérer qu'il aurait suffi de consulter un guide touristique. Le fait que le temple soit connu et répertorié ne facilita cependant pas la tâche des scientologues, qui ne pouvaient balayer le secteur au détecteur de métal, encore moins creuser des trous, sans éveiller la méfiance des autochtones. Bien qu'un des groupes ait affirmé avoir repéré quelque chose ressemblant à une ouverture secrète et qu'un balayage discret au détecteur ait révélé la présence de métal, Hubbard préféra reprendre la mer après avoir soigneusement noté les coordonnées. L' Avon River cingla ensuite vers la Tunisie, riche en vestiges de l' antique Carthage. Hubbard y avait connu un prêtre carthaginois avec qui il avait enfoui de l'or et des pierres précieuses sous un temple qu'il se faisait fort de retrouver.

Une fois dans le port de Bizerte, le Commodore confectionna en terre glaise une maquette du site présumé de ce temple et instruisit ses émissaires d'explorer la côte jusqu'à ce qu'ils aient repéré une topographie similaire. Quelques jours plus tard, les chercheurs revinrent à bord en annonçant qu'ils avaient retrouvé l'endroit mais que l'érosion l'avait dégradé au point que l'entrée du tunnel secret était inaccessible. Hubbard se rendit à son tour sur les lieux et confirma, non sans regrets, l'exactitude de leur observation.Si les équipiers du Commodore n' avaient encore mis la main sur aucun des trésors annoncés, leurs "découvertes " les poussaient à persévérer. De Bizerte, l'Avon River procéda donc vers La Goulette, l'avant-port deTunis, où la mauvaise qualité du matériel de plongée fit échouer une tentative d'exploration des ruines d'une cité engloutie. Hubbard se souvint alors d'un autre temple dont il fabriqua la maquette, mais on constata que le site était occupé par un bâtiment officiel et on dut en rester là.Rien ne pouvant décourager nos explorateurs, l'Avon River mit le cap sur la Sicile et fit escale dans le petit port de pêche de Castellamare, sur la côte nord. Le Commodore rassembla l'équipage sur le pont, montra une vieille tour de guet perchée sur un promontoire et décida que, pour plus de sûreté, les fouilles auraient lieu dans l'obscurité. Partis au crépuscule, les chercheurs d'or revinrent quelques heures plus tard, surexcités, en annonçant que l'aguille du détecteur de métal s'était affolée près de la base de la tour. Une équipe munie de pelles et de pioches partit la nuit suivante à la conquête du trésor mais revint bredouille, les fondations rocheuses s'étant révélées trop coriaces pour leurs outils. Déçu, Hubbard décréta qu'il était inutile de perdre davantage de temps; il suffirait plus tard de retrouver le propriétaire du terrain et de lui acheter la ruine afin de procéder à loisir aux excavations.L'Avon River traversa ensuite le détroit de Messine en direction de la Calabre, où Hubbard avait été percepteur du temps de l'empire romain.

Fonctionnaire peu scrupuleux qui détournait les deniers publics (on ne se refait pas) !, il avait abrité son magot des pillards en le dissimulant dans des grottes de la côte aménagées en sanctuaires.Pendant que deux équipes exploraient les secteurs indiqués, l'Avon River faisait la navette le long de la côte que des guetteurs scrutaient à la jumelle. Les recherches restant infructueuses, Hubbard conclut avec dépit que l'érosion avait sans doute détruit une partie des falaises et que la mer avait emporté les sanctuaires avec ses trésors.

Mais le moral restait au beau fixe dans l'attente du couronnement de la mission : la visite d'une station spatiale secrète en Corse.

Hubbard avait montré à quelques privilégiés des notes confidentielles où étaient consignées la description et la localisation exactes de la station dans les montagnes au nord de l'île. Elle occupait une immense caverne où l'on pénétrait en pressant d'une certaine manière une certaine empreinte de main (nul ne doutait qu'il ne s'agît de celle du Commodore) contre un certain endroit d'un certain rocher, ce qui faisait pivoter une dalle masquant l'entrée de la caverne et, du même coup, activait la station. Celle-ci abritait un vaisseau interplanétaire et une flottille de véhicules légers, tous construits dans un alliage inoxydable inconnu des Terriens, ainsi que l'équipement nécessaire à leur fonctionnement, y compris le carburant et les provisions pour un voyage de plusieurs dizaines d'années-lumière.La légitime curiosité de l'équipage resta malheureusement inassouvie car, vers la fin avril, Mary Sue demanda par radio le retour urgent du Commodore à Valence pour cause de " flap " (euphémisme employé pour décrire un conflit entre scientologues et "Wogs",c'est à dire non-scientologues). Hubbard prit donc le chemin du retour, au cours duquel les coursives de l'Avon River bruissèrent des suppositions les plus folles sur ce qui aurait dû se produire dans la station spatiale corse. Un consensus se dégagea autour de l'hypothèse que le Commodore entendait quitter la Terre à bord du vaisseau intersidéral afin de poursuivre son oeuvre sur une planète plus accueillante. La Sea Org, disait-on avec espoir, n'était peut-être qu'un premier pas vers la création d'une" Space Org ". Ces nobles considérations durent cependant être mises de côté car, dans sa traversée de la Méditerranée, l'Avon River essuya une série de fortes tempêtes, dont se ressentit l'humeur du Commodore qui ne décoléra pas. Sa fureur redoubla en apprenant à Valence que le " flap était provoqué par le capitaine du Royal Scotman, qui refusait d'obtempérer aux demandes réitérées des autorités portuaires de déplacer le navire à un môle de l'avant-port : la situation s'était aggravée au point que lesEspagnols menaçaient de remorquer le bâtiment au large et de lui interdire de rentrer au port. Hubbard envoya des émissaires arrondir les angles et fit amarrer le Royal Scotman à l'emplacement désigné. Quelques jours plus tard, pour comble d'infortune, l' ancre du Royal Scotman dérapa alors qu'une tempête se levait. Hubbard parvint à rétablir la situation avant que les amarres ne se rompent et que le navire ne soit drossé contre les rochers, mais le gouvernail avait été endommagé en heurtant le môle !

Écumant de rage, le Commodore ordonna aussitôt une"enquête d'éthique pour démasquer le ou les responsables ". En attendant, il infligea une "condition de risque " à tout le navire et bombarda Mary Sue capitaine, avec ordre de faire réparer les avaries puis de croiser le long de la côte espagnole aussi longtemps qu'il le faudrait pour parfaire l'entraînement de l'équipage et remettre le Royal Scotman dans un état digne de la Sea Org. Jusque là, elle avait interdiction absolue de toucher terre.C'est ainsi qu'au cours des semaines suivantes, les pêcheurs de la région eurent droit au spectacle inoubliable d'un paquebot faisant des huits au large des côtes, avec un manchon de toile grise autour de la cheminée. S'ils avaient été admis à bord, ils auraient été encore plus étonnés de voir que tous les membres de l'équipage, y compris une femme en tenue de capitaine, arboraient un chiffon gris noué autour du bras gauche. Les mauvaises langues prétendirent même que Vixie, le chien de MarySue, était lui aussi obligé de porter un linge gris à son collier !

Resté à bord de l' Avon River, Hubbard appareilla à destination d' Alicante, où les élèves débarqués du Royal Scotman étaient provisoirement hébergés dans une "base à terre ", c'est à dire à un hôtel. Il fut fort dépité de ne pouvoir leur rendre la visite projetée en découvrant à la dernière minute que l' Avon River était trop gros pour entrer dans le port. Après avoir hésité sur la conduite à tenir et consulté les cartes, il décida d'aller à Marseille. Commed'habitude, nul n'osa lui demander pourquoi il fallait traverser une bonne partie de la Méditerranée alors que les machines de l' ancien chalutier, éprouvées par les récentes tempêtes, inspiraient de sérieuses inquiétudes.

A Marseille, tandis que l'Avon River subissait les réparations indispensables, Hubbard loua une villa où il fit aussitôt installer un télex afin de rester en contact avec Saint Hill. Il apprit ainsi que de virulentes campagnes de la presse britannique dressaient l'opinion publique contre la Scientologie et qu'on s'attendait à de nouveaux débats la concernant à la Chambre des Communes... Début Juin, Mary Sue informa le Commodore par radio que le Royal Scotman était prêt pour un retour en grâce. Magnanime, son époux l'autorisa à venir se soumettre à son inspection, à l'issue de laquelle il déciderait ou non de lever la sanction. Repeint en blanc de l'étrave à la poupe, ses cuivres astiqués et son équipage en uniformes neufs aligné sur le pont, le Royal Scotman avait fière allure quand il fit peu après son entrée dans le port de Marseille. Hubbard restaura en grande pompe le navire dans ses privilèges, réintégra sa cabine et fit mettre le cap sur Melilla au Maroc espagnol, à huit cents milles marins de Marseille, sans que nul ne sache pourquoi.

L'heureuse humeur du Commodore ne dura cependant pas : la grève générale qui paralysait la France avait interrompu les réparations de l'Avon River, immobilisé à Marseille.

Un flot de messages radio comminatoires d'Hubbard décida Hana Eltringham, qui avait entre-temps pris le commandement du chalutier, à forcer le blocus avec ses moteurs à demi réparés. Après maintes péripéties et des arrêts d'urgence à Barcelone et à Valence pour remettre les machines à peu près en état, elle reçut l'ordre de rejoindre le Royal Scotman à Bizerte, où Hubbard plaça incontinent l'A von River en " condition de risque"sans même vouloir écouter les explications, pourtant tout à fait légitimes, de l'infortunée Hana. Environné de traîtres et d'incapables, Hubbard se devait d'instaurer de nouvelles punitions contre les membres fautifs de la Sea Org. Selon son caprice du moment, les coupables se voyaient condamnés à être incarcérés dans les puits d' ancres et nourris dans des seaux comme des animaux, ou à décaper la peinture des ballasts pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures d' affilée, sans une pause. Une variante de ces sanctions infamantes se présenta à point nommé lorsqu'un jeune Hollandais, Otto Roos, eut le malheur de laisser tomber à l'eau une amarre au cours d'une manoeuvre.

Congestionné par la fureur, Hubbard ordonna de jeter le coupable pardessus bord.

Nul, au grand jamais, ne songeant à discuter les ordres du Commodore, les deux membres d' équipage les plus proches empoignèrent donc le Hollandais et le balancèrent au-dessus du bastingage. Il y eut un grand plouf, suivi du silence horrifié des témoins de la scène qui, nevoyant pas reparaître leur camarade, se demandaient s'il ne s'était pas assommé contre la coque. Heureusement,Roos était bon nageur; quand il remonta sur le pont par l'échelle de coupée déployée sur l'autre bord, il fut tout surpris de voir l' équipage anxieusement penché à la rambarde du côté où il était tombé" Il était impensable d'émettre le moindre doute ou la moindre objection sur ce que disait et faisait Hubbard, se souvient David Mayo, un Néo-Zélandais membre de la Sea Org depuis le début. On ne pouvait se fier à personne : une simple moue dubitative risquait de lui être rapportée... Pour la plupart d'entre nous, la seule idée d'être chassé de la Scientologie était insoutenable au point qu'on refusait de l'envisager. Nous ne voulions même pas penser trop fort au comportement. irrationnel d'Hubbard la plupart du temps, car l'admettre en son for intérieur était une " pensée déshonorante " qu' on n'avait pas le droit de s'accorder. Les vérifications de sécurité" comportaient la question : , Avez-vous jamais eu des pensées hostiles envers LRH ? " et vous vous exposiez à de graves ennuis en répondant oui .

On se forçaitdonc à ne plus penser du tout.

Le 25 juillet 1968, alors qu'Hubbard était à Bizerte, le gouvernement britannique prit enfin des mesures contre la Scientologie : Kenneth Robinson, ministre de la Santé, informa la Chambre des Communes que l' entrée duRoyaumeUni serait dorénavant interdite aux étudiants en Scientologie. " Après examen des témoignages à sa disposition, déclara-t'il, le gouvernement a acquis la conviction que la Scientologie est socialement nuisible.

Elledivise les familles et impute à ses adversaires des mobiles sordides et déshonorants. Ses principes et pratiques despotiques font planer une menace sur la personnalité et la santé morale des individus assez crédules pour y avoir adhéré; ses méthodes peuvent mettre gravement en péril la santé physique de ceux qui s'y soumettent Quelquesjours plus tard, le Home Secretary, ministre de l'Intérieur, annonça que L.Ron Hubbard était désormais classé "étranger indésirable " et n' aurait par conséquent pas le droit de revenir en Grande-Bretagne. Hubbard envoya aussitôt à Saint Hill un télex dans lequel il déclarait que"l' Angleterre, jadis lumière et espoir du monde, est devenue un État policier qui ne peut plus nous inspirer confiance".

Ces événements incitèrent Fleet Street à redoubler de zèle pour interviewer l'insaisissable M. Hubbard. Le Daily Mail, qui avait récemment pris un malin plaisir à publier ses numéros de comptes bancaires en Suisse, fut le premier à retrouver sa trace à Bizerte.

Affectant une indifférence désinvolte aux décisions du gouvernement de SaMajesté, Hubbard invita à bord les émissaires du DailyMail et répondit deux heures durant à leurs questions. Il affirma ne plus diriger la Scientologie, voyager uniquement pour sa santé et n' avoir aucune inquiétude quant à l' accueil qui lui serait réservé à son retour en Angleterre :"Mon seul nom inspire confiance, je suis persona grata partout où je vais... Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi "

Hubbard pouvait se vanter d'avoir réussi un tour de force : le journal ne trouva rien de plus désobligeant àdire sur son compte que le fait qu'il fumait des Kool à la chaîne et était "agité de tics nerveux ".

. Il fit montre de la même assurance avec l'équipe de télévision arrivée le lendemain; lorsque le présentateur lui demanda de but en blanc : "Vous êtes-vous jamais dit que vous étiez peut-être complètement fou. ? " - " Bien sûr, " . répondit-il avec un sourire désarmant.

Le seul homme au monde qui ne se croie pas fou est un fou. Il expliqua ensuite aux téléspectateurs de la BBC qu'il devait moins sa fortune à la Scientologie qu'à son oeuvre d' écrivain de science-fiction (Quinze millions de mots publiés, sans parler de mes nombreux films à succès, fit-il observer, ce n'est pas rien. ") et qu'il explorait la Méditerranée afin d'étudier les civilisations de l'Antiquité et d' essayer de déterminer les causes de leur déclin.

L'équipe de la BBC à peine partie, Hubbard décida qu'il avait mieux à faire que de rester à Bizerte amuser les médias à ses dépens Le Royal Scotman leva donc l'ancre précipitamment tandis que les retardataires, abandonnés sur le quai, le regardaient s'éloigner en s'interrogeant avec inquiétude sur ce que leur coûterait le voyage de retour.L'arrivée du Royal Scotman à Corfou deux jours plus tard passa quasiment inaperçue. L'île de Corfou était une escale habituelle des navires de croisière qui y accostaient et en partaient journellement. A l'exception, peut-être, de son pavillon sierra-léonais, le Royal Scotman n'offrait rien de particulier au regard et la rumeur qu'il s' agissait d'une de ces écoles flottantes alors à la mode suffit à rassasier la curiosité blasée des badauds. Hubbard délégua des émissaires au capitaine du port, Marius Kalogeras, pour lui dire qu'ils représentaient une organisation internationale, l'Operation and TransportCorporation Ltd ou OTC.

Avec deux autres bâtiments devant prochainement rejoindre leur navire école, ils comptaient séjourner quelque temps à Corfou où les étudiants suivraient des cours à bord. La logistique et l' approvisionnement des trois navires représenteraient des sommes importantes pour l'économie de l'île, sans compter ce que les étudiants ne manqueraient pas de dépenser à terre.Le capitaine Kalogeras reçut le message cinq sur cinq :il affecta à l'OTC les meilleurs emplacements d'un secteur rénové du port et promit son entière coopération. Cet accueil chaleureux inspira au Commodore des sentiments si affectueux pour le peuple grec en général et celui de Corfou en particulier qu'il accorda à l'un des quotidiens locaux une interview sur le récent coup d'État des Colonels. A l'obséquiosité du journaliste, Hubbard répondit par un louable effort de séduction :Question : " Monsieur Hubbard, l' éminente personnalité internationale que vous êtes a sans doute suivi l'évolution de la situation politique en Grèce. Que pensez-vous de l'oeuvre de l' actuel gouvernement national "

Réponse : Le gouvernement est le miroir du peuple. Partout où mes étudiants et moi-même allons ici, les gens nous disent à quel point ils se sentent en sécurité. La décision d'établir ici le siège de notre compagnie prouve notre confiance dans la Grèce.

  1. : J' ai entendu dire, Monsieur Hubbard, que vous aviez lu la Constitution grecque d'un bout à l' autre. Si c'est exact, quelle opinion en avez-vous ?
  2. R : Je l'ai lue, en effet, et avec le plus grand intérêt. Je suis frappé par la place qu'elle réserve aux droits de l'homme. J'ai étudié de nombreuses Constitutions, y compris les lois orales régissant les tribus primitives. La vôtre s'inspire de façon brillante de la grande tradition démocratique de la Grèce. De toutes les Constitutions modernes, elle me paraît de loin la meilleure. La dictature des colonels championne de la démocratieet des droits de l'homme, voilà qui ne correspondait guère à l'opinion internationale...
Le journaliste s'abstint pourtant de le faire observer à Hubbard..Lorsque l'Avon River rejoignit le navire amiral à Corfou, Hubbard était si épris de la Grèce qu'il décida de rebaptiser sa flotte en l'honneur de ses hôtes. C'est ainsi que le Royal Scotman allait devenir l'Apollo, l'Avon River l'Athena et l'Enchanteur, qui cabotait ici et là en Méditerranée et tombait sans cesse en panne, le Diana.

Fin août, les premiers étudiants en provenance de Saint Hill arrivèrent à Corfou, lestés pour la plupart de fortes sommes d'argent sorties clandestinement d'Angleterre. (Le gouvernement britannique avait récemment réglementé les exportations de devises, au grand dam de la Sea Org qui payait ses factures en argent liquide.) " On m' avait confié 3 000 livres en gros billets que j' avais cachés dans mes bottes ", se souvient Mary Maren. Cette forme de fraude correspondait tout à fait à l' état d' esprit de la Sea Org, qui affichait le plus profond mépris pour les mesquineries du monde des "Wogs " Ainsi, le commissaire de l'Avon River s'était spécialisé dans la fabrication des faux documents exigés par l'insatiable voracité des organismes maritimes.

Pour la plus grandejoie des scientologues, ses tampons officiels plus vrais quenature, sculptés dans des pommes de terre, étaient acceptés les yeux fermés.Les cours de Corfou étaient réservés aux scientologuesconfirmés désireux d' accéder au statut d'OT de Niveau VII, le plus élevé qu'on puisse alors atteindre. Si tout scientologue digne de ce nom aspirait à cet honneur, aucun n'était cependant préparé au régime tyrannique qui prévalait désormais au sein de la Sea Org. Affublés d'une salopette verte, d'une ceinture et de sandales en cuir marron, les étudiants étaient soumis à de constantes humiliations. " On nous répétait que nous valions moins que des punaises et que nous n'étions même pas dignes d' auditer le chien de Mary Sue, se souvient Mary Maren.La journée de travail commençait à 6 heures du matin et se terminait à 11 heures du soir, après une conférence d'une heure et demie donnée par Hubbard dans la salle à manger du pont B.

Nous tremblions de peur de nous endormir au point que nous nous pincions les uns les autres. Le régime était d'une dureté inhumaine. Nous vivions dans une terreur continuelle.

Bientôt convaincu qu'il se produisait trop d'erreurs dans les séances d' auditing, Hubbard annonça un soir que les responsables seraient jetés par dessus bord. Chacun rit de cette bonne plaisanterie Le lendemain matin, au rassemblement général sur le pont, on appela deux noms : les deux étudiants qui s' avancèrent sans méfiance se firent balancer sans autre forme de procès par-dessus le bastingage, sous les regards horrifiés de leurs camarades.

Hubbard, Mary Sue et leur fille aînée Diana, en grand uniforme de la Sea Org, observaient la scène du haut du pont promenade. Quand les punis, suffoquants et dégoulinants, remontèrent sur le pont par l'échelle de coupée, ils furent obligés de saluer militairement et de demander l'autorisation de revenir à bord. Ce rituel devint ensuite quotidien et les noms des punis étaient inscrits tous les soirs au tableau d'affichage.

"Le chapelain" bredouillait une sorte d'incantation où il était question de nous purifier de nos péchés et les pauvres bougres étaient jetés à l'eau, se souvient Ken Urquhart Nous l' acceptions sans protester parce que nous avions une foi aveugle dans tout ce que faisait Ron pour sauver l'humanité. Pour Hana Eltringham, " c'était barbare et inhumain. Il y avait parmi les élèves des femmes d'un certain âge, comme Julia Salmon, la directrice de l' Org de Los Angeles, qui avait cinquante-six ans et une santé fragile. Elle a été jetée à l'eau comme les autres. La malheureuse est tombée en sanglotant et en hurlant de frayeur. LRH y prenait un plaisir évident. Je l' ai même entendu plaisanter. La jeune Diana Hubbard se délectait à ordonner les" immersions . "Capitaine de corvette " à seize ans, elle arborait un uniforme composé d'une minijupe et d'une casquette rejetée en arrière pour ne pas déranger sa longue chevelure auburn. Seule des quatre jeunes Hubbard à être officier de la Sea Org, elle inspirait une antipathie quasi générale. A quatorze ans, passionné par l'aviation, son frère Quentin ne manifestait guère d'intérêt pour son rôle d'auditeur. On le voyait souvent courir sur le pont, les bras tendus, en imitant des vrombissements de moteur. Quant à Suzette et Arthur, respectivement âgés de treize et neuf ans, ils paraissaient s' accommoder de leur étrange existence et profitaient sans vergogne du prestige de leur patronyme. Un "navire-école " qui jette ses élèves par dessus bord tous les matins ne pouvait manquer d' attirer l'attention : Les dockers de Corfou, d'abord stupéfaits, prirent bientôt la chose pour une vaste plaisanterie et profitaient en riant du spectacle gratuit. Mais ils n'étaient pas les seuls à s'intéresser à ces étonnantes pratiques. Intrigué, le maire de Corfou demanda au major John Forte, vice-consul honoraire de Grande-Bretagne, ce qu'il savait de ces gens bizarres. Officier en retraite ayant élu domicile dans l'île, Forte en savait beaucoup : il avait signalé l'arrivée du Royal Scotman au Foreign Office qui l'avait chargé de remettre à Hubbard la missive officielle l'informant qu'il était déclaré persona non grata en Angleterre.

"J'ai été accueilli, rapporte le major, par un jeune garçon d'une douzaine d'années qui me demanda l'objet de ma visite. Quand je lui ai dit que je voulais voir le capitaine, il a répondu le plus sérieusement du monde :" C'est moi ". J'ai appris ainsi que les enfants devaient jouer chacun à leur tour le rôle des officiers et qu'on leur apprenait à croire qu'ils l'étaient réellement... On m'a entraîné dans les entrailles du navire où le "subré-cargue", une mégère digne d' avoir été garde-chiourme dans une maison de correction à la Dickens, m'a promis de transmettre la lettre à Hubbard, prétendûment en mer à bord de l'Avon River. Un mois plus tard, la lettre grossièrement décachetée et refermée m' est revenue avec une note disant qu'Hubbard n'était pas rentré et qu'on ignorait où il se trouvait. " En réalité, Hubbard n'avait jamais quitté le bord où il se tenait coi.

Entre-temps, les commerçants locaux récoltaient sans se faire prier la manne de 50 000 dollars que la Sea Org dépensait en moyenne chaque mois. Le 16 novembre, ils manifestèrent leur gratitude en invitant Hubbard à une réception donnée en son honneur et lui firent unevibrante ovation. Enchanté, il rendit la politesse en les conviant au baptême de ses navires.

Diana Hubbard, sa casquette pour une fois posée droite, brisa une bouteille de champagne sur l'étrave du Royal Scotman. Après avoir dévoilé le nouveau nom Apollo peint en lettres d'or, son père la rejoignit sur l'estrade et prononça un petit speech où il remerciait avec émotion les citoyens de Corfou de leur chaleureux accueil.

Malgré ces déploiements de cordialité, les problèmes restaient entiers. Le gouvernement grec se renseignait sur la Scientologie par l'intermédiaire de son ambassade à Londres tandis que les services de sécurité enquêtaient sur place auprès du capitaine du port, qui répondit que les scientologues étaient des gens inoffensifs et ne troublaient pas l'ordre public. "J'en ai bien vu quelques-uns se jeter à l' eau, admit-il, mais il paraît que cela fait partie de leur entraînement. De son côté, le major Forte se disait assailli de plaintes sur l'asile indûment accordé par Corfou aux scientologues; un journal local, le Telegrafos, s'en fit l'écho par un article virulent où il était même question de "magie noire'.

En janvier 69, redoutant des mesures à l'encontre d'aussi bons clients, l'union des commerçants envoya au Premier ministre Papadopoulos une pétition en faveur de 1'École de philosophie du Professeur Hubbard et demanda son maintien à Corfou. Dans le même temps,Hubbard promettait de répandre ses largesses sur l'île en publiant un " Panorama social et économique de Corfou ", dans lequel il brossait un ambitieux programme de construction d'hôtels, de routes, d'usines, d'écoles, d'un nouveau port de commerce, de trois terrains de golf, de sept ports de plaisance ainsi que d'une université de philosophie financée par l'OTC.

Un journal local, l' Ephimeris en reprit les grandes lignes sous le titre : " CORFOU CONNAITRA ENFIN DES JOURS MEILLEURS

Devant ces déclarations intempestives, le vice-Premier ministre Patakos déclara dans un communiqué que les scientologues n' avaient " reçu aucune autorisation de s'établir sur le sol grec " Hubbard riposta en annonçant l'ouverture à Corfou de l'École de la Scientologie " sous deux ou trois semaines "

Désormais persuadé qu'Hubbard manoeuvrait pour faire main basse sur l'île et y installer le quartier général mondial de la Scientologie, le major Forte mena activement campagne afin de faire échouer ses projets. Convaincu de son côté qu'il était victime d'une sombre machination du gouvernement britannique et que Forte agissait à l'instigation de l'Intelligence Service, Hubbard l' accusa d' être à la source de calomnies selon lesquelles les scientologues pratiquaient la magie noire à bord de l' Apollo, empoisonnaient les puits et jetaient des sorts au bétail. En réalité, les décisions se prenaient à un tout autre niveau que celui d'un obscur vice-consul honoraire : le ministre des Affaires étrangères grec avait déjà officiellement demandé aux gouvernements britannique et australien un rapport sur les activités de la Scientologiedans leurs pays respectifs. On imagine sans peine la teneur de leurs réponses.Le 6 mars, la VIe Flotte américaine, mouillée au large de Corfou, apporta aux adversaires d'Hubbard un soutien inattendu en débarquant un détachement de Marines,qui prit position sur le quai autour des navires de la SeaOrg afin d'interdire tout contact entre les scientologues et le personnel de l'US Navy. " J' avais l'impression, se souvient Forte, qu'il s' agissait d'une opération soigneusement montée dans le but de faire prendre conscience aux autorités grecques de la gravité du danger que constituait la secte Si cette hypothèse est peu probable, il n'en demeure pas moins que le maire de Corfou signifia à Hubbard moins de quinze jours plus tard l'ordre de quitter sous vingt-quatre heures les eaux territoriales grecques. " Le vieux a failli en avoir une crise cardiaque , se souvient Kathy Cariotaki, membre de la Sea Org qui se trouvait près de lui à ce moment-là.

C'est ainsi que le 19 mars 1969, dans le port de Corfou bouclé par la police, l'Apollo leva l'ancre à 5 heures de l'après-midi et disparut à l'horizon. Venu sur le quai assister à l'événement, le major Forte reconnut à côté de lui l'un des coureurs de jupons les plus notoires de l'île. A ses paroles ironiquement compatissantes sur le départ de tant de jolies filles, l'homme répondit d'un air ulcéré : "En fait, je suis bien content qu'elles s'en aillent. Ces garces n'étaient que des allumeuses. Chaque fois qu'on arrivait aux choses sérieuses, elles répondaient avec ensemble qu'elles n'avaient le droit defaire l'amour qu'avec des scientologues.Voilà, se dit Forte en éclatant de rire, un des dogmes les plus inattendus de l'Église de scientologie.


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