LE GOUROU DEMASQUE: L. RON HUBBARD

Chapitre 2: Vers quels horizons ses pas l'ont-t'ils mené?

Ron Hubbard doit essentiellement sa légende de prophète au récit de ses voyages d'adolescent. Dès l' âge de quatorze ans, nous dit-on, il sillonnait seul l'Extrême-Orient afin d'étudier des "cultures primitives" et s'initier aux mystères de la vie en récoltant les enseignements de sages et de lamas.

"Très jeune encore, il avait souvent parcouru le littoral chinois de Ching Wong Tow à Hong Kong et s'était enfoncé dans les terres vers Pékin et jusqu'en Mandchourie." En Chine, il fréquenta un vieux magicien, dont les ancêtres avaient servi à la cour de Kublai Khan, ainsi qu'un fakir hindou soi-disant capable "d'hypnotiser les chats". Sur les hauts plateaux du Tibet, une troupe de brigands l'adopta "parce qu'il s'intéressait sincèrement à eux et à leur mode de vie". Aux confins de la Mandchourie occidentale, ses prouesses équestres lui valurent l' admiration et l' amitié de "Seigneurs de la Guerre". Sur une île non identifiée du Pacifique Sud, l'intrépide jeune homme apaisa les terreurs des indigènes en pénétrant dans une caverne qu'ils croyaient hantée pour leur démontrer que les grondements qu'on y entendait n'étaient dus qu'aux bruits d'une rivière souterraine. "Au plus profond des jungles de la Polynésie" (sic), il découvrit une ancienne nécropole "imprégnée de l'héroïque tradition des rois et des guerriers; négligeant les prières de ses amis indigènes qui craignaient pour sa vie, son insatiable appétit de savoir le poussa à explorer l'enceinte sacrée."

Les talents du jeune homme n' avaient pas de limites : "Je me souviens, écrit-t-il, avoir appris en une seule nuit l'igoroti, une langue primitive, grâce à un lexique compilé à Luzon par un vieux missionnaire philippin. Les Igorots parlaient une langue très simple, transcrite phonétiquement par le missionnaire qui en avait répertorié les mots principaux, avec leur signification et quelques éléments de syntaxe. Abrité sous une moustiquaire, j'ai appris par coeur à la lumière d'une lampe à pétrole la liste de ces trois cents mots dont je me suis servi le lendemain avec les indigènes, de sorte que je fus capable en très peu de temps de parler couramment leur langue."

Déchargé de tout souci matériel grâce aux généreux subsides de son riche grand-père, le jeune Ron pouvait donc décrypter à loisir les secrets de l'Orient et se pencher sur la "destinée spirituelle" de l'humanité. "L.Ron Hubbard apprit ainsi que la vie renfermait bien davantage que ce que la Science pourrait y découvrir, que l'homme était loin de savoir tout ce qu'il fallait connaître et que ni l'Orient ni l'Occident - l'Esprit et la Matière - ne détenaient de réponse vraiment satisfaisante aux multiples soucis de l'humanité.

Pour Ron Hubbard, c'était un immense domaine vierge dont il lui fallait entreprendre l'exploration." Ce serait là, en effet, une noble ambition et un admirable point de départ à la carrière d'un jeune homme aussi doué - si seulement cela avait été vrai ! Fin Mars 1924, après son stage à l'École d'Intendance, Harry Hubbard fut promu lieutenant de vaisseau de première classe et réaffecté à la base navale du Puget Sound, où stationnait la flotte navale Pacifique Nord. La famille retraversa le continent, s'installant à Bremerton, petite ville bâtie autour de la base en face de Seattle, sur l'autre rive du détroit.

Pour un garçon de treize ans aimant le grand air, Bremerton était un paradis. Ron et ses camarades nageaient, pêchaient, ou partaient camper et faisaient du canoë dans les collines alentour dès que le temps le permettait. Cette vie idyllique ne dura pourtant que deux ans : en effet, au milieu de l'été 1926, ses parents décidèrent de retourner habiter Seattle afin d'inscrire Ron, désormais âgé de quinze ans, dans un meilleur lycée. Il y entamait à peine son second semestre que son père reçut sa première affectation outre-mer à Guam, la plus grande et la plus méridionale base de l'archipel des Mariannes, cédée aux États-Unis à l'issue de la guerre hispano-américaine de 1898.

Hub et May discutèrent pas mal de ce nouveau bouleversement dans leur existence. Hub devant rester en poste au moins deux ans, May était décidée à le suivre. Mais que faire de Ron pendant ce temps ? Il venait d'avoir seize ans et se réjouissait déjà de troquer l'ennuyeuse routine de l' école pour la vie aventureuse d'un paradis tropical. Or, les officiers qui en revenaient racontaient des histoires d'horreur sur l'impudeur des îliennes se jetant à la tête des jeunes Américains et sur les maladies vénériennes sévissant à l'état endémique. Ils concluaient régulièrement en déclarant qu'ils ne laisseraient jamais leur fils mettre les pieds en pareil endroit. Finalement, les Hubbard décidèrent à regret de confier Ron à ses grands-parents; son père adoucit toutefois la pilule en lui permettant d'accompagner sa mère à Guam pour profiter de quelques semaines de vacances avant de regagner Helena. Le lieutenant Hubbard s'embarqua pour Guam le 5 avril 1927; sa femme et son fils suivirent peu après à bord du paquebot "President Madison", appareillant de San Francisco pour Honolulu, Yokohama, Shanghai, Hong Kong et Manille. Le journal que tint Ron pendant la traversée dénote un sens de l'observation, au service d'une curiosité naturelle chez un jeune homme de cet âge voyageant au loin pour la première fois de sa vie. Ses impressions aux escales reflètent toutefois un désintérêt général pour des coutumes ou peuples inconnus, qu'il abordait en touriste plein de préjugés et imbu de sa supériorité.

Ainsi, il ne perçoit à Yokohama que la saleté des rues et le spectacle misérable de mendiants dormant dehors : "Le Japon ne ressemble pas à l'heureuse contrée si souvent décrite... A mon avis, on n'y trouve de beauté qu'au moment de la floraison des arbres ou dans les romans." Si Shanghai le fascine d'abord, il décrit le grouillement de "milliers de barques et de jonques" sur le Yang-Tse, remarque surtout la crasse et la misère des coolies déchargeant le navire. Quant aux rues, ne lui inspirent que du dégoût : s'y croise "une populace puante et mal lavée" parmi des éventaires disparates. Il ne jettera pas un regard plus indulgent sur Hong Kong, "très britannique en surface mais très indigène au fond", dont il juge la chaleur et l'humidité moins pénibles que la promiscuité de "ces coolies qui ne regardent même pas où ils crachent".

De ses quarante-huit heures à Manille, où sa mère et lui devaient prendre un bateau de transport militaire pour la dernière partie du voyage, il ne retiendra que la pagaille dans le transbordement des bagages par la faute d'indigènes paresseux et ignorants", ainsi qu'une soirée, en compagnie d'un officier ami de son père, dans un dancing où l'on faisait danser les filles moyennant paiement. "Naturellement, nous n'avons pas dansé,dit-il: cela nous aurait déconsidérés. D'ailleurs, il faisait trop chaud..."

Le 6 juin, trente-six jours après leur départ de San Francisco, Ron et sa mère débarquèrent à Guam avec un soulagement d' autant plus marqué que leurs sept derniers jours de mer s'étaient déroulés par tempète sur un navire de guerre sans confort. Les collines verdoyantes de l'île aux maisons blanches couvertes de toits rouges, plurent d'emblée à Ron et l'odeur douceâtre du coprah dans l'air lui parut nettement préférable aux miasmes des escales précédentes; la toute-puissante US Navy contraignait en effet la population Chamorro à un minimum d'hygiène et à nettoyer les rues.

Mais surtout, Hub disposait d'un vaste bungalow et de trois domestiques, luxe inaccoutumé qui fut grande source de plaisir pour May. Ron consacra le plus clair de son temps à satisfaire sa curiosité sur le passé et les coutumes du lieu. On relève ainsi d' étranges correspondances entre ses notes de l'époque et les récits d' "exploits" et de "découvertes" retrouvés plus tard dans la mythologie hubbardienne. Le dialecte chamorro, par exemple, qui comportait à l'origine un vocabulaire de plus de deux mille mots et idiomes, s'était réduit au fil des âges à quelque trois cents mots en perdant la plupart de ses règles grammaticales, ce qui n'est pas sans rappeler la langue "igoroti" apprise en une seule nuit sous une lampe à pétrole. De même, Ron tenait d'un des serviteurs la légende d'un mauvais génie, appelé Tadamona, censé avoir hanté les cavernes d'une falaise où les eaux d'un torrent souterrain produisaient parfois des grondements et des gémissements ayant jadis terrorisé la population...

Le 16 juillet 1927, Ron prit le chemin du retour à bord d'un transport de munitions, l'USS Nitro. Après le confort et les distractions du President Madison, les cabines miteuses du Nitro et la monotonie de la traversée lui laissèrent mauvais souvenir, malgré la compagnie de deux garçons de son âge, eux aussi fils d'officiers de marine, avec qui il projetta de se retrouver à l'Académie navale d' Annapolis. Ron et son père avaient en effet envisagé pour lui une carrière dans la marine. Lorsque le Nitro jeta l'ancre à Bremerton le 6 août dans le fog, Ron n' avait plus aucune envie de donner suite à ce beau projet et mit pied à terre avec soulagement. Le lendemain, il prit le train pour Helena où les Waterbury l'accueillirent avec de grands élans de joie. Tout en savourant la cuisine de la grand-mère, il régala la famille du récit de ses aventures - et s'il broda quelque peu, nul n'aurait songé le lui reprocher... Un des journaux locaux les jugea même assez captivantes pour mériter deux colonnes sous le titre : "Ronald Hubbard nous raconte en exclusivité ses voyages et ses multiples expériences en ExtrêmeOrient." L'interview suivait de près les notes de Ron - à l'exception d'une anecdote absente de son journal de voyage à propos d'une exécution capitale dont il aurait été témoin en Chine. L' article se concluait sur ce surprenant coq-à-l' âne : "Ronald Hubbard s'était distingué en étant le seul garçon des États-Unis à être promu scout routier à l' âge de douze ans." (Il avait en réalité treize ans, mais cette "légère" erreur ainsi que l'étrange omission, dans ses notes de voyage très précises, vis à vis d'un spectacle aussi impressionnant qu'une exécution capitale, sont moins déconcertantes que le fait que nul n'ait jamais pu retrouver la trace du journal dont cette coupure serait extraite. Elle n'existe que sous forme de photocopie dans les archives de l'Église de scientologie, sous la référence : "Article paru dans un journal d'Helena, Montana, vers 1929", alors que Ron était revenu de Guam deux ans auparavant...) Le 6 Septembre 1927, Ron fit sa rentrée au Lycée d'Helena où il retrouva un de ses cousins, Gorham Roberts.

En octobre, il s'enrôla dans la Garde nationale du Montana en mentant sur son âge, n'ayant pas les dix-huit ans réglementaires. Entre-temps, il s'était intégré à l'équipe du journal de l'école, baptisé The Nugget (La Pépite) en souvenir des chercheurs d'or ayant jadis fondé la ville. La traditionnelle parade historique qui couronnait l'année scolaire eut lieu en mai 1928. Ron s'y déguisa en pirate - malgré l' absence de tels personnages dans l'histoire du Montana - et remporta un prix d'originalité. Une semaine plus tard, il était envolé... En ne le voyant pas venir au cours le lundi 14 Mai, ses copains crurent sans doute qu'il avait été renvoyé. Selon son cousin Gorham Roberts : "On disait qu'il s'était disputé avec un professeur et lui avait collé le derrière dans une poubelle. Le principal était un vieil Allemand qui ne plaisantait pas sur la discipline, si bien que Ron a dû croire qu'il ne s'en tirerait pas après un coup pareil et a préféré ne pas revenir." Sa tante Marnie fournit une autre explication : "Ron avait l' aventure dans le sang et ne voulait pas s'encroûter dans un trou de province comme Helena. Il est d'abord allé à Seattle, chez ma soeur Midgie et son mari qui ont essayé de le retenir, mais il a continué sa route et a trouvé un bateau qui l'a embauché comme matelot pour payer son passage vers Guam." Quelle qu'ait été la véritable cause de sa fugue, Ron ne revint pas au Lycée d'Helena.

Il écrivit deux versions de son départ précipité quelques temps après, aussi ornementées l'une que l'autre. Bien qu'elles ne soient distantes que de quelques pages dans son journal, on y lit d'importantes différences sur de nombreux points; certains passages ressemblent même étrangement aux aventures fantastiques qu'il aimait déjà jeter sur le papier quand il avait un instant de liberté. Il semblerait donc qu'il raccompagnait des camarades dans sa "puissante torpédo" (vraisemblablement la vieille Ford-T de son grand-père), quand un garnement leur lança au passage une balle de base-ball qu'il reçut sur la tête. Il infligea au coupable une correction si sévère qu'il se brisa "quatre phalanges" de la main droite. "C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase... Il a fallu me réduire quatre fois la main, je n'avais plus goût à rien... Alors, j'ai revendu ma voiture et je suis parti..." Après avoir informé son grand-père de sa décision de "changer d' air", il prit le train pour Seattle et passa deux ou trois jours chez son oncle et sa tante. Le 7 juin, jouant de son "prestige de Scout", il se fit héberger dans un camp qu'il jugea bientôt trop bondé pour son goût. "Je suis parti à midi, un lourd sac à dos sur les épaules, vers les pentes inviolées du majestueux Mont Olympus où je plantai ma tente à 9 heures du soir. Douze heures plus tard, je gisais inerte sur un rocher, sauvé par mon sac d'un fracture fatale à la colonne vertébrale. Voyant le sang pisser dru de mon poignet, j'ai cherché d'urgence un médecin.

Il ne donne aucune autre explication de cet incident ni sur le restant de son voyage vers Bremerton, dans cet état de santé. C'est en se faisant soigner par un médecin de marine qu'il apprit que l'USS Henderson devait lever l'ancre pour Guam à San Francisco, la semaine suivante (première version) ou quinze jours plus tard (deuxième version.)

Le soir même, prenant le train de nuit pour la Californie (première version), il voyait le bateau quitter le quai en arrivant au port. Il faillit alors, dit-il, se faire embaucher comme matelot à bord d'un cargo en partance pour le Chine, mais se ressaisit en se renseigna auprès des auorités portuaires, qui lui apprirent que l' USS Henderson relâchait à San Diego avant de traverser le Pacifique. Et bien entendu, il sauta dans un bus qui l'amena à San Diego en un tournemain.

A son arrivée, il fallait encore qu'il ait l'accord de Washington et de son père pour embarquer ! - pas de problème, le commandant de l'escale lui fit obtenir tous les visas en expédiant des messages radio à Guam et Washington.

Imaginez son père recevant un message officiel lui demandant si son fils peut le rejoindre à Guam à bord d'un navire de la Navy , alors qu'il est censé suivre ses cours à 2000 kms du port... Mais Hub accorda bien sûr l'autorisation qui arriva certes... une demi-heure avant la levée des ancres.

Tout cela ne colle pas du tout avec le journal de bord du "Henderson", dans lequel il est noté que "L.R. Hubbard, fils du lieutenant H.R. Hubbard, s' est présenté le samedi 30 juin à 16 h 20 pour être transporté à Guam." Le navire n'appareilla pas une heure plus tard mais le lendemain à 13 h 30. De même, le dossier du lieutenant Hubbard révèle que Ron s'était renseigné par écrit auprès du Ministère de la Marine dès le 10 Mai, bien avant son départ de Helena, sur les conditions de passage à bord d'un bâtiment militaire et avait requis le 28 Mai l'autorisation d'embarquer sur le Henderson...

N' ayant jamais été homme à laisser les faits lui gâcher une belle histoire, Ron se décrivit donc haletant et couvert de poussière, sa valise à la main, en train d'attendre angoissé au pied de la passerelle l'arrivée du télégramme. Sa malle s'était égarée quelque part entre San Francisco et San Diego mais il en fallait davantage pour le démonter : "J'étais dénué de tout. Il me restait deux sous en poche, je ne possédais plus rien au monde que deux mouchoirs, deux paires de chaussettes, une brosse à dents et les vêtements que j'avais sur le dos. Mais quand le Henderson leva l'ancre, j'étais à bord..." Cette partie de son journal se termine sur une remarque désinvolte à l' adresse d'un hypothétique lecteur : "Je vais maintenant vous dévoiler le secret de mon aventureuse existence - mais, chut! Je suis né un vendredi 13." Cela aussi est faux, hélas. Lafayette Ronald Hubbard était venu au monde le lundi 11 mars 1911..


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